Mémorandums conjoints de la société civile aux chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine réunis lors de la 35e session ordinaire de l’Assemblée de l’Union africaine.
Votre Excellence, Macky Sall, Président de la République du Sénégal et président de l’Union Africaine
Nous, la société civile, saluons et nous réjouissons de votre élection à la présidence de l’Union africaine. Nous vous écrivons par solidarité et dans le respect du rôle unique que joue l’Union africaine (UA) sur le continent et dans le monde. Ce faisant, nous affirmons notre engagement et notre rôle en tant que société civile dans la réalisation de “l’Afrique que nous voulons”. Une Afrique dont le développement est axé sur les personnes, et une Afrique où la bonne gouvernance, la démocratie, le respect des droits de l’homme, la justice et l’État de droit prospèrent.
Nous saluons votre leadership et nous nous engageons à nous tenir debout et à travailler avec votre bureau et tous les organes et structures pertinents de l’UA, en particulier en ces temps difficiles pour nous tous en tant que continent. Nous pensons que le moment est venu pour l’Afrique de se serrer les coudes et que le leadership de Son Excellence est essentiel pour conduire le continent vers une reprise juste, verte et féministe de la pandémie du COVID-19. Une reprise qui place les personnes et la planète au-dessus des intérêts des entreprises.
Votre Excellence, nous, les membres soussignés de la société civile, souhaitons exprimer nos profondes préoccupations et porter à votre attention et vous demander de faire preuve de leadership pour mobiliser les autres chefs d’État et de gouvernement pendant et après la 35e session ordinaire de l’Assemblée de l’Union africaine en abordant les points suivants:
Paix, sécurité et stabilité sur le continent
Bien que des progrès en matière de gouvernance démocratique aient été réalisés dans certains espaces, le continent est toujours confronté à une myriade de défis à l’aube de 2022. Dans de nombreuses régions du continent, on observe une escalade marquée des conflits violents (conflits internes intercommunautaires et internationalisés), de l’extrémisme violent et de l’implication accrue des contractants militaires privés. On observe un retour constant aux coups d’État militaires qui, en Afrique occidentale, s’accompagnent d’un mépris des réponses statutaires de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de l’UA. Toute la Corne de l’Afrique est plongée dans la crise, y compris en Éthiopie, le siège de l’UA. En Afrique centrale, les guerres continuent de faire rage au Cameroun anglophone, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) et dans d’autres endroits. En Afrique australe, il y a des conflits dans le nord du Mozambique et une impasse violente entre le gouvernement et le peuple en eSwatini, entre autres défis. La région de l’Afrique du Nord, le Sahel, la majeure partie de l’Afrique de l’Ouest et la Corne de l’Afrique croulent sous le poids des groupes terroristes et autres acteurs armés non étatiques. Dans une grande partie du continent, les processus et résultats électoraux sont contestés et manquent de légitimité populaire. Il y a également une répression brutale généralisée des protestations et un détournement des pouvoirs d’urgence.
Bien qu’au cours des deux dernières décennies, l’UA et ses États membres aient formulé des lois (traités, chartes, protocoles), des règles et des règlements impressionnants, et qu’ils aient également mis en place les organes, institutions et mécanismes nécessaires à leur mise en œuvre, ceux-ci sont soit faibles, insuffisants ou inefficaces et n’ont pas conduit à une amélioration démontrable de la situation de la démocratie, de la bonne gouvernance, de l’État de droit ou des droits de l’homme et des peuples. Au contraire, nous assistons à un retour rapide à l’état de conflit et d’instabilité qui prévalait avant le millénaire. La promesse de « Faire taire les armes d’ici 2020 » s’avère brutalement creuse. Nous appelons les dirigeants africains à : –
- S’engager à nouveau, de façon manifeste, à respecter les principes qui ont sous- tendu la transition de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) à l’UA, et qui sont ancrés dans l’Acte constitutif de l’UA.
- Garantir une application uniforme et rapide des réponses statutaires aux changements anticonstitutionnels de gouvernement, où qu’ils se produisent sur le continent.
- S’attaquer non seulement aux coups d’État militaires, mais aussi aux changements anticonstitutionnels de gouvernement orchestrés par les régimes en place, y compris la manipulation des constitutions, ou des institutions ou processus judiciaires ou électoraux. L’UA doit faire en sorte que ses lois, règles et règlements soient appliqués de manière égale par les régimes en place et les autres acteurs.
- Faire preuve de manière constante de la volonté politique et de la détermination de s’attaquer aux violations des droits de l’homme qui conduisent à des situations de conflit et/ou qui sont commises dans ces situations, notamment en prenant des mesures urgentes ou en renforçant les efforts existants pour lutter contre l’impunité qui nuit à la participation active des citoyens et des médias au renforcement de la transparence et de la responsabilité dans les affaires publiques.
Justice en matière de santé et de vaccins pour la COVID-19
La COVID-19 a été une tragédie et continue de ravager le continent sans relâche. D’innombrables décès inutiles ont été constatés et des moyens de subsistance ont été perdus. De nombreux décès auraient pu être évités si les dirigeants africains étaient restés fidèles à la déclaration d’Abuja et si les pays riches, ainsi que les grandes entreprises pharmaceutiques, n’avaient pas eu recours au nationalisme en matière de vaccins, ce qui a restreint et rendu inaccessible le vaccin Covid-19 aux Africains. En tant que société civile, nous sommes consternés par la lenteur du déploiement des vaccins sur le continent et par les actions des pays riches qui continuent de bloquer les efforts visant à intensifier la fabrication de vaccins sûrs et efficaces en refusant d’accepter la proposition de l’OMC parrainée par l’Afrique du Sud et l’Inde et qui a été soutenue par tous les pays africains en vue de suspendre les règles de propriété intellectuelle (dérogation à l’accord sur les ADPIC) pour tous les vaccins, tests et traitements contre la COVID-19. Nous appelons donc les dirigeants africains à:
- Veiller à ce que chaque Africain reçoive un vaccin sûr et efficace contre la COVID- 19, rapidement et gratuitement.
Remédier à la réticence à l’égard des vaccins en investissant de façon proactive dan s l’éducation en santé publique, lutter contre la désinformation et abandonner les app roches militaristes adoptées par de nombreux Africains. - Unir les voix africaines à celles d’autres pays en développement et blocs régionaux pour faire pression sur les pays riches qui bloquent une dérogation aux ADPIC à l’OMC. Les pays africains ont été confrontés à une marée sans fin de gestes inadéquats et de promesses non tenues de la part des pays riches et des sociétés pharmaceutiques, qui ne parviennent pas à fournir les milliards de doses promises tout en bloquant les véritables solutions pour mettre fin à la pandémie. Les dirigeants africains devraient hardiment interpeller les pays riches qui bloquent la suspension des règles de propriété intellectuelle (dérogation aux ADPIC) pour tous les vaccins, tests et traitements contre la COVID-19.
- Résister à toute tentative de la part des pays riches de comptabiliser les dons de vaccins contre la COVID-19 en excès qui n’ont jamais été achetés dans l’intérêt des pays africains dans le cadre de leurs budgets d’aide à un prix de 6,72 USD par dose. Accepter cette démarche nuira à la qualité, au caractère et à l’intégrité de l’aide publi que au développement.
- Démontrer l’engagement politique à réaliser la couverture sanitaire universelle en investissant une part importante de leurs droits de tirage spéciaux dans le renforcement des systèmes de santé publique et l’achat de vaccins contre la COVID- 19. Cela devrait être suivi d’une allocation continue et d’une dépense d’au moins 15 % des budgets nationaux annuels dans les services de santé financés par l’État, conformément à la déclaration et aux engagements d’Abuja.
- Prendre des mesures délibérées en vue d’atteindre l’autonomie dans la production de vaccins en investissant dans la recherche et le développement, en renforçant les cadres réglementaires et financiers, en attirant et en conservant des ressources humaines qualifiées et en poursuivant des politiques étrangères qui débouchent sur une coopération juste et bénéfique pour tous.
Une reprise économique juste, verte et féministe
La Covid-19 continue d’exercer une pression énorme sur les économies africaines, la collecte des recettes fiscales montrant peu de signes de retour aux niveaux d’avant la Covid-19. En outre, la dette insoutenable continue d’épuiser les réserves africaines, ce qui entraîne des coupes dans les services publics, tandis que les flux financiers illicites (IFF) continuent de quitter le continent. Selon les dernières estimations, 90 milliards de dollars sont perdus chaque année en raison de pratiques fiscales agressives et dommageables.
L’échec de la réponse mondiale à la pandémie a mis en lumière le dysfonctionnement et l’injustice de l’architecture financière mondiale actuelle. En 2021, les discussions sur la fiscalité mondiale menées par les pays du G20 et de l’OCDE ont débouché sur des résultats qui n’ont que des avantages marginaux pour les pays africains. De même, les solutions à la dette mondiale n’ont pas atteint un niveau suffisant : elles excluent les créanciers privés ; il n’y a pas d’accès pour les pays à revenu intermédiaire ; et les agences de notation du crédit « jouent à la police » en abaissant les notes souveraines. L’expiration de l’initiative de suspension du service de la dette (DSSI) en décembre 2021, l’allocation minimale de droits de tirage spéciaux (DTS) et un cadre commun du G20 peu favorable, signifient que les risques de crise de la dette africaine sont reportés au lieu d’être fondamentalement abordés. Et sans un programme d’annulation complet impliquant tous les créanciers, les gouvernements africains continueront à consacrer les ressources libérées au paiement de la dette extérieure.
Une reprise juste, verte et féministe garantit que le soin (des personnes et de la planète) est au centre de l’économie et de la vie. Elle inclut la reconnaissance et la redistribution de la part disproportionnée des femmes dans les soins non rémunérés et le travail domestique, ainsi que l’accès à un travail décent et rémunéré pour tous les travailleurs.
Nous appelons donc les dirigeants africains à :
- Adopter et exprimer une position africaine unifiée sur la fiscalité et les flux financiers illicites dans l’architecture financière mondiale. Les discussions actuelles sont défendues par le G20/OCDE et ne reflètent pas les préoccupations ou les intérêts des pays africains.
- Continuer à défendre la création d’un organisme fiscal mondial inclusif sous les auspices des Nations unies. Cela permettrait à tous les pays de participer à la prise de décision concernant les règles fiscales mondiales.
- Défendre avec audace une campagne mondiale pour la suspension et l’allégement de la dette, y compris l’annulation de la dette, afin que l’Afrique puisse canaliser la mobilisation des ressources intérieures vers une reprise économique juste, verte et féministe.
- Appeler à des réformes de l’architecture financière mondiale qui régit la dette publique afin d’intégrer les principes de l’ONU en matière de restructuration de la dette souveraine, qui intègrent TOUS les créanciers dans l’écosystème de la dette.
- Aller au-delà de la réorientation actuelle des droits de tirage spéciaux et rechercher une allocation générale supplémentaire de DTS plus proche des 3 billions de dollars estimés par la CNUCED nécessaires pour couvrir les effets de la Covid-19
- Unir les voix africaines pour assurer la non-conditionnalité du mécanisme de confiance pour la résilience et la durabilité (RST) en cours d’élaboration pour réorienter les DTS.
Justice climatique pour les peuples d’Afrique à la COP27
La Conférence des Nations Unies sur le climat 2022 (COP 27) se tiendra sur le sol africain et fournira au continent l’opportunité de s’assurer que les besoins des populations vulnérables au changement climatique – plutôt que les intérêts des nations riches et polluantes – seront satisfaits. Dans le passé, la Conférence des Parties a constaté un biais en faveur des discussions sur l’atténuation, tout en négligeant les perturbations et les préjudices déjà subis par le changement climatique. Une COP africaine doit aller au- delà de ce biais. L’Égypte accueillera des représentants du monde entier à la fin de 2022 et, en tant qu’hôte, ils ont un rôle crucial à jouer dans l’élaboration des résultats et la création d’un espace pour les priorités correctes.
Nous appelons les dirigeants africains travaillant avec la présidence égyptienne de la COP à veiller à ce que la COP27:
- Place l’adaptation et les pertes et dommages au cœur des négociations sur le climat. La COP27 pourrait enfin être l’occasion pour les nations riches de débloquer les fonds indispensables pour aider les communautés vulnérables à s’adapter au changement climatique. Qu’il s’agisse de construire les bonnes infrastructures, de créer des systèmes d’alerte précoce en cas de conditions météorologiques extrêmes ou de fournir aux populations des cultures résistantes à la sécheresse, les besoins d’adaptation des pays d’Afrique et d’ailleurs dans le Sud sont vastes et ne font que croître à mesure que nous tardons à agir. La COP27 doit aboutir à un objectif mondial clair en matière d’adaptation, à l’engagement d’au moins 50 % du financement climatique dans les efforts d’adaptation et au soutien et au financement de l’initiative africaine d’adaptation.
- Dépasse les ateliers prévus sur l’opérationnalisation d’un Fonds pour les pertes et dommages. Il est toutefois impossible de s’adapter à certains impacts du changement climatique. Ainsi, on ne peut pas s’adapter au fait que sa maison sur une île soit submergée à jamais par la montée du niveau de la mer, ou que ses terres agricoles soient transformées en désert par la hausse des températures. Cette souffrance doit être prise en compte. Les parties doivent convenir, lors de la COP27, d’établir les pertes et dommages comme un pilier autonome et clair dans les négociations, d’engager des parts spécifiques du financement climatique pour les pertes et dommages, et de fournir un soutien spécifique aux pays touchés qui tentent d’accéder au financement des pertes et dommages.
- Au minimum, double l’engagement de 100 milliards de dollars pris lors de la COP27 et entame des discussions en vue d’atteindre les milliers de milliards de dollars qui reflètent les besoins réels pour maintenir le réchauffement climatique en dessous de 1,5°C. Les pays riches se sont développés sur le dos des combustibles fossiles et du colonialisme et ont maintenant une grande dette envers les pays plus pauvres et vulnérables au climat qui ont été laissés pour compte. Pour que l’Afrique laisse ses combustibles fossiles dans le sol et s’affranchisse effectivement des modèles de développement à forte intensité de combustibles fossiles, un soutien financier important sera nécessaire, qui ne pourra pas simplement prendre la forme d’une nouvelle dette.
- Assure des engagements et des investissements significatifs dans une économie des énergies renouvelables dirigée par l’Afrique, décentralisée et démocratisée. Une économie qui touche ceux qui étaient auparavant laissés pour compte et qui crée de nouvelles connexions et opportunités. Des centaines de millions d’Africains sont privés d’un accès abordable et fiable à l’énergie. La COP27 doit encadrer la discussion sur l’atténuation d’une manière qui compte pour l’Afrique. L’atténuation ne peut se résumer à la décarbonisation des grandes économies développées, à la mise en œuvre de taxes sur le carbone ou, pire encore, à l’évitement du changement réel par la compensation des émissions de carbone. Dans un contexte africain, l’atténuation doit porter sur une transition vers les énergies renouvelables qui puisse répondre de manière significative à la demande énergétique sans cesse croissante du continent.
- Souligne les dangers de la géo-ingénierie et veille à ce que le moratoire actuel de la Convention sur la biodiversité sur les technologies de géo-ingénierie soit maintenu. Il existe des discussions visant à faire de l’Afrique le terrain d’essai de dangereuses technologies de géo-ingénierie. La géo-ingénierie offre la fausse promesse d’être le dernier espoir pour les pays vulnérables au changement climatique alors qu’en réalité, elle menace de déstabiliser encore plus les systèmes naturels de la Terre, d’augmenter la probabilité et la gravité des phénomènes météorologiques extrêmes et de contrecarrer tout espoir d’une véritable transition énergétique.
Enfin, bien que l’Union africaine reconnaisse le rôle central des citoyens, de la société civile et des médias dans la réalisation du programme de développement de l’Afrique, ses actions sont loin de la réalité. Nous appelons l’Union africaine, dont la mission est de construire « une Afrique intégrée, prospère et pacifique, dirigée par ses propres citoyens », à revenir sur sa décision de limiter la voix des peuples dans ses affaires. La décision de refuser la participation de la société civile et des citoyens aux neuf derniers sommets est perçue comme une approche contradictoire avec sa vision d’une Afrique dirigée par ses citoyens. Les gouvernements africains se réunissent à partir d’aujourd’hui pour délibérer sur les actions clés qui auront un impact sur la vie des populations africaines, mais les populations elles-mêmes se sont vues refuser la possibilité de participer à ces discussions. Le rétrécissement constant de l’espace de participation des citoyens aux affaires de l’UA reste une menace pour la réalisation de la vision de l’Afrique que nous voulons.
tout en gardant en copie:-
- Bureau du Président, Commission de l’Union africaine
- Bureau du Vice-président, Commission de l’Union africaine
Les OSC et les individus signataires :-
- ActionAid International
- Africa Development Interchange Network (ADIN)
- African Forum and Network on Debt and Development (AFRODAD)
- African Women’s Development and Communication
- Network (FEMNET) Akina Mama wa Afrika
- APPNIFT – RDC
- Budget Advocacy Network- Sierra Leone
- CAADP Non-State Actors Coalition (CNC)
- Centre de Développement pour la Femme (CDF) – RDC
- Christian Aid
- Civil Society Education Coalition (CSEC) – Malawi
- East African Budget Network (EABN)
- East African Tax and Governance Network (EATGN)
- EcoNews Africa (ENA) – Kenya
- Fight Inequality Alliance
- Initiative citoyenne pour l’environnement et le développement durable (ICED), Burundi
- Kalkal Human Rights Development Organisation (KAHRDO) ,Base In Somalia.
- Les Amis de la Terre TOGO
- Oxfam
- Pan Africa Lawyers Union (PALU)
- Power Shift Africa
- Southern and Eastern Africa Trade Information and Negotiations Institute (SEATINI) Uganda
- Tanzania Coalition on Debt and Development (TCDD)
- Tax Justice Network Africa (TJNA)
- The Institute for Social Accountability/The Okoa Uchumi Campaign
- Transparency International (T.I.)
- Uganda Debt Network (UDN)